PARIS (TICpharma) – Le représentant de la France auprès de la Commission européenne sur le numérique, Gilles Babinet, a insisté sur l’impératif de « dépasser la technocratie » et le « fractionnement » du système de santé pour réussir la transformation numérique du secteur, à l’occasion des premières Rencontres prévention santé organisées le 15 mai à Paris par la Fondation d’entreprise Ramsay-Générale de santé.
« Quand j’observe la transformation des institutions publiques dans le monde, ce qui est manifeste c’est que le plus difficile, ce sont les systèmes de santé », a-t-il souligné.
Le « digital champion » français auprès de la Commission a listé les problèmes rencontrés par ce secteur en France pour tirer profit d’une « révolution numérique » qui offre, selon lui, « des perspectives importantes d’augmentation de la qualité de soins, de la qualité de vie des patients » et d' »économies absolument considérables » pour les pouvoirs publics.
Il a d’abord mis en avant un « contexte réglementaire miné » lié au « fractionnement » des réglementations et des institutions régulatrices. La Haute autorité de santé (HAS), la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), le ministère de la santé, l’échelon européen… « Tout le monde édicte des réglementations et il est très difficile d’arriver à avoir une vision d’ensemble », a-t-il déploré.
Gilles Babinet a plusieurs fois épinglé le « manque de formation » des acteurs à l’égard des technologies numériques, qu’il s’agisse de la médecine de ville, des praticiens hospitaliers, des industriels ou du régulateur.
« On voit souvent beaucoup plus les risques et les menaces que les opportunités lorsqu’on ne connaît pas bien le sujet », a-t-il noté.
Il a mis en lumière la « force » du système estonien, régulièrement cité comme exemple en matière de numérisation de la santé grâce, selon lui, à « une administration et un corps politique extrêmement jeune, et très souvent formé à l’étranger ».
Ces ressources aguerries aux enjeux et aux usages du numérique constituent un atout pour porter une « volonté politique forte » et une « vraie modernité » que Gilles Babinet a jugé « essentielles » pour réussir la transformation du système de santé.
Le troisième obstacle à cette transformation identifié par le « digital champion » réside dans l’efficacité actuelle du système de santé français. Avec des dépenses de santé de l’ordre de 11% du PIB et une durée de vie de la population parmi les plus élevées du monde, « vous avez un système qui ne fonctionne pas si mal, et le modifier, c’est prendre le risque de l’altérer », a-t-il relevé.
Il a également pointé l’inertie de « certains acteurs qui ont des intérêts particuliers dans ce système qu’ils préservent ».
Interfaces de programmation ouvertes
Pour dépasser ces obstacles, Gilles Babinet a formulé trois recommandations en conclusion de son intervention aux Rencontres prévention santé.
« Il faut former de façon quasi impérative l’ensemble des acteurs », parmi lesquels l’Etat, les collectivités territoriales, les structures sociales et de santé. « Les a priori sont trop importants pour ne pas passer par une formation approfondie en matière de potentialité du numérique », a-t-il insisté.
Il a ensuite préconisé d' »évoluer vers un système intégré », en rentrant dans une « logique d’API [interface de programmation] » qui permette l’échange de données entre les différents outils utilisés par les professionnels de santé.
Citant les exemples des équipements d’imagerie médicale et des pacemakers et défibrillateurs connectés, il a préconisé un refus du remboursement des dispositifs qui ne sont pas dotés d’API ouvertes, et qui enferment donc l’utilisateur dans des systèmes propriétaires.
Gilles Babinet a expliqué que les acteurs du système de santé devaient se réunir pour penser « collectivement » la mutation numérique des soins, mais aussi de la prévention, car la technologie permet de favoriser le basculement d’une vision curative à un système plus préventif.
« L’ennemi commun de cette mutation a un nom: il s’appelle le silo. Et la grande caractéristique de la data et de la révolution digitale est de mettre fin aux silos en ayant une logique transversale, très au-delà du système médical tel qu’on le connaît aujourd’hui », a-t-il conclu.